BAKHMUT-ARTEMIVSK
La Serbie de Donbas
Dans l’œil de cyclone de la guerre que traverse l’Ukraine, la ville de Bakhmut (Artemivsk) fut fondée en 1753, ainsi que la ville de Lugansk, par les régiments des Hussards serbes, refugiés depuis l’Autriche avec leurs familles. Leur sort est le sujet de la fresque littéraire de Milos Crnianski, Migrations[1], ainsi que de la coproduction serbo-française du même nom[2].
Originaires de Kosovo qu’ils ont dû quitter face à la répression de masse ottomane a l’issue de la Guerre de la Sainte Ligue, fin XVIIe siècle, descendants de la cavalerie serbe qui triompha brillamment de la grande armée ottomane[3], trois fois supérieure en nombre, à Slankamen en 1691, ces militaires de père en fils étaient intégrés dans la marche frontalière autrichienne dans le Banat, au sud-est de l’Autriche ayant pour mission de défendre la frontière face à l’Empire ottoman. Exposés au prosélytisme confessionnel favorisé par Marie Thérèse, ils émigrent en Russie avec armes et bagages, pour s’établir dans les confins (Ukraine = Confins) sud-ouest de la Russie, depuis peu reconquis sur les Ottomans. Ils y fondent les provinces militaires Nouvelle Serbie et Slavo-Serbie, ayant pour chef-lieu lesdites villes de Bakhmut et de Lugansk, avec son fort fondé par les Dragons serbes du colonel Pavle Isaković, en 1755 – enjeux des combats actuels les plus acharnes, du moins pour la première de ces villes.
Rompus à la guerre incessante qui sévissait à la frontière austro-ottomane, implantés désormais dans les steppes incultes de la Russie en pleine expansion, l’élite de ces militaires de carrière eut des promotions fulgurantes à la faveur des guerres que la Russie menait dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Ces hauts gradés, les généraux Vitković, De Preradović à Bakhmut, Šević à Lugansk, Panić, Vulin, Perić, Stojanović, Siméon Piščević, Sima Narandžić Zorić et Pierre Tekelija, qui devient le feld-maréchal de l’armée russe. Plus tard, lors des guerres napoléoniennes, le général de cavalerie de la Garde impériale Nikolai Ivanović de Preradović se distingua par la charge victorieuse de sa garde lors de la bataille d’Austerlitz. De 37 généraux russes de cette époque 10 étaient serbes, descendants de cette élite militaire implanté à Donbas dès la première moitié du XVIIIe siècle, dont le général Georges Arsenijević Emanuel, qui fit prisonnier le Marechal Lauriston à Paris, tout en agréant la reddition de la Garde impériale, en 1815. Plus d’une centaine de noms des plus hauts gradés serbes sont inscrits en lettres d’or dans le Mémorial de l’église du Christ Sauveur à Moscou.

[1] Migrations (Seobe), Roman / Trad. du serbe par Velimir Popović. Introd. de Nikola Milošević. – Paris : Juilliard; Lausanne : L’Age d’Homme, 1986. – 855 p.
[2] Alexandre Petrović, Migrations, avec Isabelle Hupert, Richard Berry, – «Un film exceptionnel, à la fois spectaculaire et intimiste, d’une ampleur et d’une force que l’on croyait perdues, un film d’action, d’émotion et d’idées, en plus, beau à couper le souffle, ce qui devrait lui faire le tour du monde…» LE FIGARO
[3] Le grand vizir de la Sublime Porte et commandant en chef ottoman Mustapha pacha Ćuprilić ayant été tué dans la mêlée, les instructeurs français des Ottomans n’ont pu faire grand-chose pour sauver l’armée ottomane, pourtant trois fois supérieure en nombre, les austro-serbes eurent comme butin 157 canons, 5.000 chevaux, 10.000 tentes, les pertes ottomanes s’élevèrent à 20-25.000 soldats, alors que celle des chrétiens étaient de 5 à 7.000 victimes. Ce fut la fin de la présence ottomane en Europe Centrale et en Hongrie de près de deux siècles.